Le peintre
Le peintre était content. Tard dans la nuit, il avait
quitté son atelier
dans le parfum des toiles fraîchement finies.
C’est guilleret qu’il ouvrit la porte le matin et n’en
crut pas ses yeux
: toutes les toiles étaient blanches. Il se frotta les
yeux, fredonna
une comptine et but un grand coca. Rien n’y fit, les
toiles restaient
désespérément blanches.
Alors il se remit à peindre comme un fou. Qu’allait-il
emporter à sa
prochaine exposition ? Et il alla faire la sieste,
épuisé. Avec dans la
tête, quelques petites touches de raccord, il retourna
sur le soir dans
son atelier. Les toiles étaient à nouveau blanches.
Lui avait-on jeté un
sort ? Il croisa les doigts, fit brûler de l’encens et
juste éclairé par
quelques bougies, il décida de rester dans son atelier
pour guetter.
Et ce qu’il vit à travers ses cils ne manqua pas de
lui glacer le sang.
Les couleurs revenues sautaient d’une toile à l’autre,
le motif de l’une
devenait celui de l’autre… Les toiles changeaient de
place … .Et la
première couche se mêlait à la seconde. C’est tout
excité que le peintre
s’endormit.
Au petit matin, dans la douceur du soleil levant, les
toiles
l’attendaient, luisantes, rutilantes, avec quelque
chose de plus que la
première version et quelque chose de moins que la
seconde. Ce quelque
chose qu’il cherchait. Seule une grande toile restait
obstinément vierge.
Alors le peintre rit et traversa la toile.
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